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Technophobie/-- Chut ! Y’a Robot qui Dort !

  Les expositions universelles ont toujours servi de vitrine à la propagande scientiste. Leur cheminement suit la course folle de la technologie : de leur création, au début de l’industrialisation (à Londres en 1851, « Great Exhibition of the Works of Industry of All Nations »), à celle se déroulant en ce moment au Japon, à Aichi. A l’occasion de cette dernière, les organisateurs proposent aux « personnes qui forment la société globale du 21e siècle [de travailler] ensemble pour arriver à une coexistence soutenable et harmonieuse de la vie sur Terre » 1 ; entendu que « la technologie est la clé qui permettra de trouver des réponses aux problèmes globaux et d’identifier une nouvelle dimension au développement de l’humanité ». Evidemment ! Et quelles sont donc les merveilles technologiques à l’honneur ? Les robots. Pas le robot-mixeur-hacheur-monteur de blancs en neige, en vente à Carrefour ; pas l’automate programmable d’une chaîne de montage, au mouvement simple et répétitif. Un type jusque-là réservé à la science-fiction. Un robot qui parle, qui marche, un droïde aux allures d’enfant, de chien, de peluche ou de personnage de manga, qui peut vous tenir compagnie ou vous rendre quelques services. Vous pouvez d’ores et déjà avoir chez vous un chien métallique ou des oursons animés, moyennant quelques gros billets (respectivement 2000 et 1200 euros). Vous pouvez aussi être poliment accueilli dans une entreprise ou un salon par un androïde qui vous orientera et vous annoncera.


 

Asimo vient de vous serrer la pince et de vous dire au revoir. Il retourne d’un pas sûr, bien qu’un peu lent, vers l’entrée. Ce robot de Honda (comme QRIO de Sony et quelques autres) est également capable de courir ou danser, de monter des marches ou de reprendre son équilibre, voire d’amortir sa chute s’il est bousculé. Doté de plusieurs caméras, il peut se déplacer au milieu d’obstacles, même mobiles, identifier les humains, reconnaître leurs visages et interpréter puis réagir aux gestes qu’ils font. Il peut vous parler (avec un vocabulaire de plusieurs dizaines de milliers de mots), reconnaître les voix et réagir à des bruits soudains et inhabituels. Et surtout, il est doué d’une intelligence artificielle qui lui permet d’agir de manière autonome et de tirer des leçons de ses expériences et de ses relations avec les humains. Le projet COG du MIT (Massachusetts Institut of Technology), au stade expérimental, a produit un robot doté de la vue, du toucher et de l’ouïe, qui a la capacité de se représenter lui-même le monde, d’apprendre et d’évoluer à partir des informations de son environnement, et de s’auto-programmer par le biais d’interactions avec les humains. Son créateur, Rodney Brooks, affirme que « c’est de cette rencontre avec la vraie vie que naîtra l’intelligence au coeur de la machine ». Lui, semble avoir perdu la sienne dans les méandres électriques d’un microprocesseur !

 

   Les robots se proposent de nous assister dans notre quotidien si laborieux. Déjà, en ce qui concerne le gazon ou la moquette, l’aspirateur Roomba et la tondeuse Automower se chargent de tout, sans même qu’on ait à penser à les mettre en marche ou à les recharger. En ce qui concerne la garde des enfants, NEC s’en occupe et Mitsubishi commercialise Wakamaru, qui se charge de celle des grands-parents. A l’exposition internationale de Aichi, on nous promet des robots pour nous peindre le portrait ; comme cavalier ou cavalière pour quelques tours de piste, ou pour nous aider à écrire un roman. Ils remplaceront les hommes et femmes dans bien des travaux. Certains seront affiliés à des tâches difficiles : recherches dans les décombres, surveillance des centrales nucléaires, déblaiement de la neige, sauvetage d’urgence... Ils continueront de délester quelques prolétaires du poids et du salaire de leur dur labeur. D’ores et déjà, un patron insatisfait de sa main-d’oeuvre délocalisée, peut se payer un robot-ouvrier, androïde capable de remplacer un humain pour la plupart des emplois en usine. La surveillance de son site est par ailleurs assuré par Robot X qui repère toute intrusion grâce à ses détecteurs de mouvements et ses caméras infra-rouge : il poursuit les rodeurs en les filmant, en les assommant de messages d’avertissements ou de sons assourdissants, ou bien en les aspergeant d’un gaz blanc, tout en prévenant les flics.


Ça fait frémir ! Mais les robots se proposent aussi de nous distraire. Sony commercialise la 7e version de son chien Aibo qui « reconnaît la voix de son maître, joue à la balle, se balade avec son os, réagit aux caresses et aux punitions », fait des acrobaties, vous passe un morceau de musique via l’ordinateur ou internet. Il est doté d’une intelligence artificielle pour lui donner plus de réalisme. Il attire l’attention s’il reste seul ou veut jouer, il communique ses émotions par l’expression de son visage et de sa voix, il apprend des tours. Mieux qu’en chair et en os, au lieu d’avoir à le sortir, il reste et surveille la maison, et envoie un film sur téléphone portable si quelqu’un entre. Sony cible particulièrement les adolescents et les hommes, avec une version plus agressive, plus curieuse et plus fougueuse, et les enfants avec Latte et Macaron, les deux oursons munis d’« instincts » et d’« émotions » basiques, censés leur conférer un comportement animal. Faites votre choix !
Les robots domestiques nous sont proposés comme des compagnons, toujours présents en cas de besoin, serviables et dociles. Bien domestiqués ! Hitachi présente en ce moment, au Japon, Pal et Chum (androïdes sur roues dotés de la parole, de la vue, d’intelligence artificielle..., du même type que Asimo ou Qrio) : « Nous avons voulu créer un robot qui puisse vivre et cohabiter avec les gens ; nous voulons que les robots soient utiles aux gens » (Toshihiko Horiuchi).

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 Pour que l’empathie fonctionne, il faut que les droïdes réagissent à leur environnement, particulièrement humain, qu’ils simulent des expressions, des émotions. Kismet, du MIT, est un robot « sociable » qui a des pulsions, des besoins, des exigences, qui cherche à les satisfaire, et qui manifeste de l’intérêt, sa bonne ou sa mauvaise humeur, éprouve des frustrations, la fatigue, la tristesse, le mécontentement ou la peur. Il exprime ses émotions par des expressions du visage, son comportement, des intonations de voix et la parole. Il est doté dans ses programmes de nombreuses données de psychologie et apprend quotidiennement au contact des humains.

« Ce que nous voulions faire, ce n’était pas créer un robot mais bien une créature, avec tout ce que cela comporte »2. Le mouvement parallèle d’humanité-robotisée devrait permettre cette convergence. Elle peut déjà s’opérer dans notre quotidien technologisé où les androïdes prétendent devenir l’élément central indispensable

Papero de Nec, conçu entièrement pour un usage à domicile, n’oubliera jamais votre anniversaire. Se préoccupant de votre précieux temps, il vous rappellera vos rendez-vous, vous informera de l’arrivée d’un e-mail, ou, si vous vous ennuyez, vous proposera un jeu ou un programme télévisé. En parfait secrétaire et majordome, il communique avec votre portable, votre PDA3 ou votre ordinateur personnel, ainsi qu’avec tout le matériel radio-communicant proposé par la domotique moderne ; il s’en fait le chef d’orchestre. Il fera une parfaite nounou, jouant avec les enfants : il connaît leur emplacement à chaque instant. Sortez travailler et consommer tranquillement ! Vous pouvez toujours l’appeler de votre portable pour surveiller ce qui se passe chez vous par le biais de sa caméra, parler et écouter par le truchement de ses micros et hauts-parleurs... Toshiba, Fujitsu et d’autres proposent également ce type de robots pour assistés du monde moderne. Mais le marché, même s’il devrait atteindre 1,8 mille milliards de yens au Japon d’ici 2010, peine à s’étendre. Principale cause, une réticence évidente du consommateur. Les scientifiques s’occupent donc aussi de communication. Le robot Pino4 est notamment conçu pour familiariser les humains aux robots-amis. Il est présenté dans des foires, musées et salons scientifiques, et un jouet à son effigie est en vente depuis 2001. Il a l’allure d’un enfant de deux ans, pour attendrir le public. Les androïdes domestiques miment les enfants, des animaux ou des personnages imaginaires aux allures sympathiques, aux couleurs et contours agréables. Kismet, le robot expérimental du MIT, axé sur la sociabilité, est à l’image d’un enfant qui grandit au contact des humains qui l’entourent. Le chien Aibo, vendu en standard à l’âge adulte, peut-être acquis chiot pour que vous puissiez faire son éducation... Tout un programme... qui comblera probablement les générations Tamagoshi !

L’automatisation du quotidien bat son plein. La révolution industrielle nous a privés d’une relative autonomie dans la production de nos moyens d’existence. Les outils se sont transformés, pour s’insérer dans une chaîne de production détruisant quantité de techniques et savoirs ; les espaces d’auto-subsistance (champs familliaux ou communaux, ateliers...) ont été remplacés par des ensembles de feu et de fer, à l’échelle des nouvelles ambitions capitalistes, démeusurées et imposantes, dévoreuses d’hommes. Et pourtant, on nous ressort ce mythe progressiste d’une humanité liberée de toute contrainte et servie par les machines. Ordinateurs, robots, intelligence artificielle devraient, enfin, nous permettre d’échapper à ce fardeau du travail – le travail d’artisan, celui de paysan, puis celui d’ouvrier.... Pour nous coller devant un écran, face à des caméras de vidéo-surveillance, à communiquer avec des circuits intégrés !

La mise au travail forcé de la paysannerie dans les usines l’a dépossédée des techniques et moyens d’auto-subsistance. La multiplication des emplois de bureau supprime tout rapport entre travail et production (qui déjà n’existe plus que par le truchement de l’argent, tant la production est morcelée). Les techniques acquises sont de plus en plus étroitement liées à la dynamique interne du capital. Nous voilà dépendants pour notre survie quotidienne d’engins dont le fonctionnement nous dépassent5. Incapables de nous nourrir ou de nous vêtir hors des circuits marchands. Incapables de nous loger, de nous chauffer ou de nous déplacer sans les outils et les énergies de la société industrielle. (Qu’on vole ou qu’on ramasse les nombreux surplus, qu’on squatte ou qu’on fraude EDF ou les transports, ne change rien dans cette dépendance ; c’est une question de survie). Et aujourd’hui, les outils hypertechnologisés sont sortis des usines pour venir chez-nous. Bientôt dans les lofts des citoyens modèles, un robot remuera la sauce des pâtes OGM pendant qu’il fera la lecture d’un livre numérique pour éviter à ces autres automates de chair et de sang de se fatiguer les yeux, usés par les multiples écrans familliers d’un quotidien sans horizon.

Des alimédicaments au télé-travail/achat, la même logique persiste : créer les conditions de survie (physiologiques et psychologiques) de l’espèce humaine dans un environnement rendu de plus en plus invivable par les agressions du monde moderne. Des drogues légales ou prohibées, aux maisons domotiques, en passant par l’air conditionné ou les musiques d’ambiance décervelantes, chacunE peut se modeler son « espace de vie », preservé et aseptisé (version fengchui pour bio-bobo), privatif mais totalement normé. Un lieu hors de la violence sociale qui t’explose en pleine gueule au détour d’un carrefour metropolitain comme à celui d’un village touristique. Un doux cocon qui cherche à faire oublier l’environnement putride qui le produit.

La dynamique du développement techno-industriel ne parvient pas à contenir le monde dans ses équations, aussi complexes soient-elles. Elle tend alors à lui donner une forme raisonnable, contrôlable et rentable. Quitte à nier l’évident désastre lié au développement du capital (augmentation des seuils de pollution tolérés pour la contamination radioactive des aliments ou des seuils de montée en chaleur des eaux aux alentours des centrales, mensonges sur la catastrophe de Tchernobyl 6, sur la pollution de l’air, de l’eau...) ; et quand bien même les « facteurs négligeables » (comme disent les docteurs Folamour) se manifestent en série, par les successions de Tsunami et tempêtes en tout genre, de sécheresses alternées avec des inondations, de réchauffement de la planète nous menant à la glaciation, d’émeutes, d’insurrections, de « fanatisme religieux », de suicides ou de pétages de plombs. Tout ça gommé par la puissance du progrès : on envoie les taulards nettoyer les plages, les euros-dollars humanitaires reconstruire les bordels à touristes sur les côtes thaïlandaises, ou la force armée mater les révoltés. Une société à l’image d’une équation mathématique, où tout serait quantifiable et où la modification d’un élément provoquerait une réaction unique et connue d’avance. Pour rationaliser ce chaos « naturel », on modifie et sélectionne les gènes, on contrôle des énergies dites inépuisables, la puissance du soleil (projet ITER de fusion nucléaire) et on crée des êtres métalliques et électriques réputés infaillibles. Un monde parfait, une utopie
de scientifique. Un cauchemard
pour quiconque garde encore une flamèche de vie. Que ces incandescences soient les facteurs imprévus de ce monde virtualisé...

1) http://www-1.expo2005.or.jp/fr/whatexpo/concept.html
2) Dr Cynthia Breazel, responsable du
projet Kismet.
3) Personal Digital Assistant : entre l’agenda électronique et l’ordinateur, la moitié de la taille d’un livre de poche, muni d’un écran tactile et le plus souvent des différentes connections hertziennes (infra-rouge, bluetooth, wi-fi ou GSM).
4) Décidement, les roboticiens aiment les contractions explicites : l’Androïde Asimo pour Asimov, le robot expérimental Cog pour cognitif ou Pino pour Pinocchio.
5) A l’image des voitures modernes bourrées d’électronique, pour lesquelles l’ordinateur a remplacé la clé de 13 et de 17 (chères à tout bon vidangeureuse). Finies les réparations sur un bord de trottoir : les pauvres iront à pied s’ils veulent échapper à l’arsenal de contrôle des transports de masse.
6) Voir le tract Retour d’expérience dans
ce numéro.
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